Sean Weisgerber - An Honest Day's Work
2023 | SEAN WEISGERBER
AN HONEST DAY'S WORK
MONTRÉAL
18 mai - 30 juin, 2023
Blouin Division a le plaisir de présenter An Honest Day's Work, une exposition solo de l'artiste torontois Sean Weisgerber. Un texte de Douglas Coupland accompagne le nouveau corpus de l’artiste.
Ce n'est pas de l'art tant que le chèque n'est pas encaissé
Intitulées An Honest Day's Work, les œuvres de l'actuelle exposition de Sean Weisgerber fascinent à la fois de loin et de près. À première vue, les œuvres semblent être de simples autocollants de prix du magasin à un dollar collés sur de grandes toiles - mais en observant de plus près, on se rend compte qu'elles ont en fait été peintes sur la toile, et non pas peintes à la va-vite, mais avec une acuité technique qui est presque palpitante. En creusant un peu, on s'aperçoit que le prix du tableau est la somme des autocollants peints qu'il a représentés, et que l'œuvre obtiendra son titre une fois acquise, en adoptant la date d'achat – i.e., APR. 22, 2022. Le titre codifie le moment précis où l'objet est passé du statut d'objet à celui d'objet d'art - un objet qui a maintenant un nouveau propriétaire.
D'accord. Mais qu'est-ce que la propriété exactement? Disons que j'ai une pomme. Elle m'appartient, mais je vous la donne. Maintenant, cette pomme est à vous. Alors, attendez une seconde... que vient-il de se passer ? Il y a bien eu transfert de propriété - et nous savons tous ce que c'est que de posséder ou de ne pas posséder quelque chose - mais quel est le mécanisme mystérieux qui produit et détruit la propriété? Votre nouvelle pomme n'est en rien différente de la pomme que j'ai possédée, si ce n'est qu'un sort lui a été jeté : le sort de la propriété. Ce n'est pas pour rien qu'il existe un prix Nobel d'économie.
Les œuvres de Weisgerber se situent à l’intérieur de ce créneau magique où l'art se heurte au commerce de multiples façons : prix au marteau, frais d'expédition clou à clou, honoraires de l'artiste, estimations de prix dans les catalogues de vente aux enchères, subventions, réductions accordées par les galeries à leurs amis. Tout cela se cristallise dans ces nouvelles œuvres. Elles occupent un territoire abondamment exploré par les artistes du vingtième siècle, mais le travail de Weisgerber est d'une grande fraîcheur, d'un parfum qui sent, en quelque sorte, la blockchain. On a le sentiment que l'œuvre a été créée à une époque où l'authenticité est conférée de manière ultraspécifique à un moment bien précis, qui est ensuite définitif à perpétuité. C'est On Kawara qui rencontre Bitcoin.
Weisgerber a passé une grande partie de sa vie d'adulte à vivre dans deux des villes les plus chères d'Amérique du Nord, Vancouver et Toronto. Ce sont des villes où l'immobilier se vend constamment à des prix surréels et où les espaces pour de nombreux types d'activités qui, ailleurs, sont considérés comme acquis (espace de studio, espace de fonderie, espace d'exposition) sont en grande partie indisponibles, même si d’énormes quantités d'argent y sont jetées. Les œuvres de l'exposition An Honest Day's Work reflètent ironiquement l'absurdité du capitalisme du prix au pouce carré, qui n'est en aucun cas une simple plaisanterie. En regardant de plus près les œuvres, on remarque un code de couleurs qui indique le jour précis où les "autocollants de prix" ont été ajoutés et donc le temps et le travail qui y ont été consacrés. Cela remet en question l'ensemble du système des galeries et ses paramètres de valeur et de prix. Weisgerber explique : « Sur le plan conceptuel, cette série est née d'un intérêt pour la relation longue et complexe entre la peinture et le marché de l'art. La peinture, en tant que médium, est souvent considérée comme la "vache à lait" des arts visuels. En tant que peintre, je souhaite déconstruire cet enchevêtrement et y réfléchir, afin de comprendre comment ces facteurs inhérents au marché guident et déforment tacitement notre perception de la valeur intrinsèque des tableaux ».
Dans l'ensemble, un sort a été jeté sur les œuvres de Weisgerber avant même qu'elles ne soient vendues, un sort dans lequel un artiste a injecté le présent dans le passé d'une manière qui regarde vers le futur et qui laisse le spectateur s'interroger sur la suite de son exploration de l'art et de son rôle à même le seul parc d'attractions capitaliste entièrement non réglementé au monde.
-Douglas Coupland